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La lettrie

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Lectures et dialogue des cultures


Les Oliviers du Négus, Laurent Gaudé

Publié par philippe sur 7 Août 2015, 21:21pm

Catégories : #Adopte un Livre : notes de lecture, #Thèmes d'Aujourd'hui

Les Oliviers du Négus, Laurent Gaudé

Laurent Gaudé, Les Oliviers du Négus, Actes Sud

Je suis tombé sur ce livre un peu par hasard (enfin pas tout à fait quand même, comme dit Bernanos, « le hasard nous ressemble »), et j’en remercie le Secours Populaire. C’est un recueil constitué de 4 nouvelles, qui date de 2011.

- La 1ère nouvelle donne son titre à l’ensemble. Le narrateur est bouleversé, il doit se rendre à l’enterrement d’un personnage beau et grand, quoiqu’inconnu : Zio Négus.

Zio Négus portait en lui le rêve d’une vie habitée par le chant du monde où l’homme se heurte encore au mystère du temps et à la présence rugueuse des élèments.

Il a combattu sans conviction pour l’armée italienne en Ethiopie, d’où son surnom. Mais il ne s’en est jamais remis.

"Au fond, je voulais voir l’Ethiopie." Une tristesse était passée dans ses yeux : "Je n’avais pas compris qu’on m’avait envoyé là-bas pour la détruire. "

Et puis son destin semble se marier un peu à celui de Frédéric II, souverain sicilien du XIIème siècle :

"Dès le premier jour, je l’ai senti", avait dit Zio Négus, parce que, pour lui, il ne faisait aucun doute qu’il restait dans les vieilles pierres de l’abbaye quelque chose de la venue du roi des Deux-Siciles. L’herbe, ici, avait le souvenir d’avoir été foulée par les chevaux caparaçonnés de son armée et il flottait encore dans l’air, malgré le temps passé, quelque chose de l’épuisement de ces soldats qui avaient plongé dans les entrailles de la terre et étaient remontés à la surface avec, sur le visage, une fatigue de siècle.

Au passage, Gaudé nous donne un bout de définition de l’écrivain : « un homme qui connaissait des histoires et s’était donné pour mission de les partager avec ceux qui les entouraient ».

Et peut-être aussi de l’être humain : « Qu’est-ce donc qu’un homme si ce n’est une accumulation d’histoires vécues, rapportées, imaginées, qui, mises à bout, finissent par faire une vie ? »

- La nouvelle suivante, « le Bâtard du Bout du Monde » est le récit à la fois intime et un peu épique de Lucius, un chef des armées romaines, mais d’extraction populaire, sans famille. Il est envoyé près du mur d’Hadrien pour relever une autre légion. Mais très vite cette mission aux confins du monde va devenir son tombeau, ainsi peut-être qu’un retour aux origines…

Beaucoup de poésie dans ce récit lancinant :

Nous sommes partis au matin. Le ciel était si bas qu’il n’y avait plus d’heure. Tout était nappé de silence, comme si les dieux avaient décidé de retirer les bruits du monde.

- « Je finirai à Terre », un récit très particulier, une nouvelle fantastique entre Maupassant et Julien Gracq. Durant la Guerre de 14, la Terre n’en peut plus d’être bombardée, trouée, explosée ; animée d’un sentiment de vengeance, elle vient hanter et meurtrir les survivants et les habitants des villages de l’Est de la France.

On peut aussi lire ce beau texte dans une optique plus actuelle :

L’homme a offensé les éléments et ne sait plus comment les apaiser.

- Dernière nouvelle, triste et belle encore : « Tombeau pour Palerme ».

Le juge sicilien Borsellino, qui lutte contre la Bête, la mafia (ce mot n’est jamais écrit), raconte la mort de l’autre juge, Giovanni Falcone, puis ses dernières heures à lui et enfin l’attentat qui le déchiquette à son tour alors qu’il vient de rendre visite à sa mère.

Je pense à ma mort prochaine. Je sais que le jour de mon assassinat est proche. Je voudrais mourir seul, sans escorte, sans famille, n’emmener que moi dans l’air suffocant de l’explosion. C’est pour cela que je m’éloigne de tous ceux qui m’aiment.

Gaudé montre l’omniprésence de la Bête :

La mort est lâchée. C’est toujours un proche. Et c’est toujours pour de l’argent ou pour se sortir d’une situation délicate. Ils savent flairer cela : les hommes sur qui ils vont pouvoir faire pression, ceux qui offrent une prise parce qu’ils ont peur, parce qu’ils sont faibles. Qui me trahira ? (...)
Les gamins, ici, ont, dès leur plus jeune âge, des airs de comploteurs. Je les connais. J’ai traqué leurs pères, leurs oncles, leurs grands-frères, toute ma vie. Ce sont eux les tueurs de demain. Est-ce que Palerme est à eux ou à moi ?

Ce qui fait tenir, face à un ennemi plus riche et prêt à tout, ce ne sont que quelques valeurs…

Quand on lit Les Oliviers du Négus, on peut se dire, comme Zio dans la 1ère nouvelle : « les oliviers m’ont appelé »

l'auteur

l'auteur

Pour moi, Laurent Gaudé possède un des styles les plus puissants parmi les écrivains français actuels. Il n’écrit pas que pour le commerce des trucs avec des pages qu’on ose parfois appeler des livres. Il appartient à ce que j’appelle la littérature, au même titre que François Bon, Semprun, Kundera, ou d’autres qui parfois figurent sur ce blog. Il choisit des thèmes solides, même si on peut aussi sans doute lire tout ça sans se préoccuper des enjeux. Il a une écriture profonde, pénétrante. Ce n’est pas mesquin, rigolard, racoleur. Malgré toutes les tristesses de notre époque, et de toutes les époques, Gaudé a encore confiance dans le monde, il a encore foi en l’homme. La dernière des nouvelles de cet ouvrage est dédiée « aux seuls véritables hommes et femmes d’honneur de Sicile. » D’après ses œuvres, Laurent Gaudé est un véritable homme d’honneur de l’espèce humaine.

Le recueil a été réédité en 2012 chez Libra Diffusio (en gros caractères). Il existe aussi en livre audio chez Thélème.

A l'Escale du Livre, à Bordeaux, en avril, Gaudé a proposé une lecture de son livre, accompagnée des dessins en live de Benjamin Bachelier, qui a déjà illustré le Soleil des Scorta.

https://www.facebook.com/jimbamin

https://www.facebook.com/jimbamin

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Z
J'aime l'écriture de Laurent Gaudé, je note celui-ci
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V
Je ne connaissais pas ce livre non plu ! Je note le nom et vais le commander car des nouvelles écrites par Laurent Gaudé, ça à le don d'aiguiser ma curiosité. Philippe, merci pour la trouvaille !
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P
Je t'en prie, je l'ai à peine fait exprès !...
M
C'est un auteur que j'apprécie aussi. De lui, j'ai lu le fabuleux "soleil des Scorta" et "je finirai à terre" très belle allégorie sur la guerre.
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P
Oui. Et il a une grosse capacité de travail, il fait beaucoup de choses. Il y a un groupe qui lui est consacré sur fb; mais je n'en fais pas (encore ?) partie. A bientôt.

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