Andrzej Stasiuk, Pourquoi je suis devenu écrivain (Actes Sud, 2013)
Un livre surprenant si on le choisit pour son titre. Stasiuk, en effet, ne refait pas « Les Mots » de Sartre ni les textes de certains auteurs qui racontent la naissance de l’écriture en eux, il ne semble pas expliquer ce qui a fait qu’il est devenu écrivain, il ne parle pas de sa vocation. Peu de pages parlent de l’écriture, notamment parce que tout se passe avant que Stasiuk ne se mette à écrire.
Alors, c’est quoi ?
Le sous-titre est « roman picaresque » ! C’est un peu le 1er volet d’un diptyque autobiographique qui va se continuer avec « Un vague sentiment de perte » (voir sur ce blog).
Ca ressemble à de la littérature américaine, on pense à des auteurs comme Kerouac, Ginsberg évoqué en ces termes : « l’idole de ma jeunesse ».
Stasiuk raconte sa jeunesse, ses frasques (« Et que d’exploits héroïques ! »), son anarchisme, son antimilitarisme, ses virées, seul ou avec ses copains. La prison militaire par laquelle il est passé aussi, parce qu’il ne reniait pas ses idéaux, le mitard, le travail, le rock et la lecture qui sauvent :
Mirek était un gars très bien. Il avait tué son frère par inadvertance. Un personnage tragique.
J’étais dans un train, je lisais Genet. Les contrôleurs me laissaient tranquilles. Je revenais dans ma ville natale.
Les faits et les phrases s’enchaînent très vite, avec une certaine froideur PARFOIS dans l’écriture, un peu comme s’il racontait de manière objective et détachée.
Pourtant il évoque ces années –c'est-à-dire la fin des années 70, le début des années 80 en Pologne – avec de temps à autre un peu de nostalgie :
Je crois bien que c’étaient les derniers jours de la culture humaniste. Je suis heureux d’avoir pu les vivre
Personne n’était pressé. On passait à l’improviste chez des gens et on restait pour la nuit. Essayez de faire ça aujourd’hui. Eh oui. Nous étions la dernière génération à avoir connu le bonheur.
Il parle aussi beaucoup de rock tout au long du livre :
J’ai toujours été en admiration devant les rockeurs. Jamais devant les écrivains. J’ai toujours voulu être comme Iggy Pop, jamais comme Henryk Sienkiewicz
Assez fréquemment dans les souvenirs, Stasiuk avoue qu’il peut se tromper, que ce n’est peut-être pas tel point qui est arrivé mais tel autre et avec tel autre compagnon :
Après tout ce temps, je ne sais plus.
Il est impossible de retenir toutes les conversations. L’homme en deviendrait fou.
J’ai assez souvent pensé à Henri Miller, en lisant ce petit bouquin (ma mère ne sait pas que j’ai lu cet auteur censuré). Pas pour la pornographie, mais pour les récits d’aventures collectives ou individuelles et la réflexion sur la littérature ou sur les événements du temps. Stasiuk évoque l’écrivain new-yorkais, mais il semble, lui, ne retenir que le sexe et affirme le trouver « ridicule ». Par contre il avoue qu’ il « pompe sur Céline à qui mieux mieux ».
Andrzej Stasiuk qualifie son opuscule de « chronique d’un certain état d’esprit ».
La plupart des livres sont nés de l’ennui, parce qu’une fenêtre ne donnait sur rien d’intéressant.
Il n’explique donc pas réellement « pourquoi » il est devenu écrivain, mais il décrit une jeunesse mené par des idéaux et des principes, des goûts et des folies. Le lecteur comprend ainsi qui est l’auteur, en profondeur, et découvre ce qui l’a modelé en tant que futur auteur, et en tant que ce futur auteur.
C’est un livre original de ce point de vue.
Andrzej Stasiuk, né en 1960 à Varsovie, est un des auteurs importants de la littérature contemporaine centre-européenne. Il a écrit d’autres ouvrages assez connus en France : Dukla, Taksim, Neuf, Un vague sentiment de perte, Mon Europe...
Andrzej Stasiuk, Pourquoi je suis devenu écrivain (Actes Sud, 2013). Traduit du polonais par Margot Carlier. Edition originale : 1998. Le titre et le sous-titre ont été traduits exactement; mais certaines éditions polonaises précisent qu'il s'agit d'une "autobiographie intellectuelle".