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La lettrie

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Lectures et dialogue des cultures


Olivier Maulin, le Bocage à la Nage

Publié par philippe sur 15 Juillet 2015, 16:46pm

Catégories : #Adopte un Livre : notes de lecture, #Polar, #Humour drôle, #Thèmes d'Aujourd'hui, #Nouveauté

Olivier Maulin, le Bocage à la Nage

Olivier Maulin, Le Bocage à la Nage, Balland, 2013; réédité chez Pocket, 2015.

Les romans d’ Olivier Maulin sont toujours aussi frappadingues. Cette fois, pas de partouze inopinée comme dans En attendant le Roi du Monde. C’est l’histoire d’un commercial, un loser, qui n’arrive pas à vendre des monte-escaliers et finit par se faire virer. Il se réfugie alors, en Mayenne, dans une sorte de communauté de clodos et d’anars qui sont ses amis. C’est un roman drôle et bonhomme.

la couverture Pocket, 2015

la couverture Pocket, 2015

Eloge du Cro Magnon

Au-delà de l’intrigue (il y en a un peu une), Maulin nous fait visiter une belle galerie de portraits.

Le personnage principal d’abord, Philippe Berthelot. Des Ph. Berthelot, il y en a une cinquantaine sur Linkedin, mais il y a eu aussi un célèbre diplomate sous la IIIème République… Le nôtre est un personnage qui détone dans le monde des commerciaux de son entreprise de monte-escaliers. Plutôt sympathique, mais un peu pitoyable avec son histoire d’amour Une de ses collègues a couché avec lui… par erreur, un soir de beuverie. Et voilà la lettre qu’il lui envoie après :

Lettre de mon Maulin

Lettre de mon Maulin

Cro-Magnon : l’ami du précédent, et des suivants. Vit en harmonie avec la nature, un colosse poilu qui fait sa toilette de temps en temps, et qui va vivre une jolie bluette.

Il sortit à poil de la douche, tout blanc de savon. Il était vraiment énorme avec des poils partout, une vraie bête des cavernes. Il passa devant Berthelot en le fusillant du regard et bondit hors de la caravane. (…) Il regagna la douche. Berthelot prit sa bière dans le frigo, éteignit la lumière et ralluma la télé. Une minute plus tard, Cro-Magnon lui demanda de lui apporter des œufs. Berthelot regarda autour de lui. Sous l’évier, cinq plateaux de quarante-huit œufs étaient empilés. Il emporta un plateau jusqu’à la douche. Cro-Magnon ouvrit la porte, prit six œufs et les cassa un à un sur sa tête en balançant les coquilles hors de la douche. Le blanc et le jaune collait sur son visage, lui donnant l’ai d’un dégénéré de film d’horreur.
- Pourquoi que tu te pètes des œufs sur la tête, t’es devenu con ou quoi ? demanda Berthelot.
- C’est bon pour les cheveux, répondit Cro-Magnon. Et puis, qu’est-ce que tu veux que je foute de deux cent quarante œufs ?
- Et pourquoi que t’as deux cent quarante œufs chez toi ?
- Je les ai piqués, eh, Andalou.
Il récupéra du blanc et du jaune d’œuf sur son torse et sur ses cheveux et se frotta les aisselles, les poils pubiens et la raie des fesses. Berthelot referma la porte du pied, rangea le plateau d’œufs sous l’évier et se rassit devant la télé.
Un instant plus tard, Cro-Magnon attrapa le second seau d’eau et se rinça. On entendait l’eau couler sous la caravane. Il se rhabilla avec les mêmes fringues, un pantalon de treillis et une chemise à gros carreaux rouges et blancs, puis revint devant la télé. Il avait du jaune d’œuf sur les sourcils.

Cro Magnon et Berthelot adorent imiter la chouette, c’est même leur cri de bonheur, ce qui donne quelques passages assez désopilants.

Arrivé au bar, Cro-Magnon se souvint du baiser sur la joue. Il gonfla la poitrine, une sorte de force l’envahit subitement ; c’est ainsi qu’il ressentait le bonheur. Il eut envie de faire la chouette, mais se retint.

Le contact de ses doigts frais sur son dos mettait Cro-Magnon dans un drôle d’état. Il avait cessé de respirer, fixait la rivière d’un air bovin, les yeux écarquillés, un petit sourire niais au coin des lèvres. Plus tard, il ferait la chouette dans le bocage en souvenir de ce moment de grâce.

Jeannot : une sorte de simplet – je veux dire encore plus simplet que les autres :

- A moins que tu vas encore nous dire que c’est tes nains ! ajouta l’homme des cavernes avant de ricaner.

Jeannot haussa les épaules. Un mois auparavant, il avait prétendu voir défiler une dizaine de nains sur la lande derrière l’étable, au crépuscule. Ils portaient des robes multicolores, marchaient à la queue leu leu et lui avaient tous fait un petit coucou de la main quand ils l’avaient aperçu. L’histoire n’avait pas arrangé sa réputation ; il s’était même fait traiter publiquement de farfelu par le maire de Port-Brillet, qui était aussi le pharmacien du village. A vrai dire, il avait une drôle de conception des choses, Jeannot. Il pensait qu’il y avait trois mondes : le nôtre, celui des morts et celui des nains. Pourquoi un monde des nains ? Mystère. Personne ne savait où il avait été pêcher sa cosmogonie, pas même lui. Mais il n’en démordait pas. Il évoquait les farces que lui jouaient les nains, comme faire cailler le lait ou déposer un escargot dans ses bottes tandis qu’il dormait. Depuis qu’il avait vu le défilé, il était de surcroît convaincu que l’entrée du monde des nains n’était pas loin de la ferme, si bien que, quand il se promenait dans le bocage, il ouvrait l’œil.

Il y a aussi Lambert, Mam’zelle Coco, le seigneur du haut Plessis, les deux nudistes anarchistes, Louis et Ninette, ainsi que la jeune Léonie, amoureuse de Cro-Magnon, et sa petite sœur Charline, deux beaux personnages qui n’ont pas une vie facile.

Tout ce beau monde est du genre anti-social, voire anti-civilisation, ce qui donne quelques débats juteux entre ceux qui sont radicalement contre la société et la civilisation, et ceux qui en prennent quand même les bons côtés :

" Tu dis la civilisation, c’est de la merde, intervint Berthelot. C’est pas un peu exagéré, quand même ? "

Eloge du Bocage

Entre les pages, entre les épisodes absurdes, quelques beaux passages qui égratignent le productivisme, versus la beauté et l’utilité du bocage. Maulin nous rappelle ce que provoque la disparition de ce type de paysage : « ruisellement, érosion, inondations, cours d’eau polués, disparition des poissons, appauvrissement des nappes phréatiques, assèchement des zones humides, disparition des oiseaux, prolifération des vers et des insectes nuisibles, utilisation de chimie, là encore, pour s’en débarrasser. » Contrairement aux messieurs et mesdames météo, Maulin rappelle que ce n’est pas souvent la pluie qui provoque les inondations à la mode ! Il montre l’intelligence et la beauté des vieilles haies.

Sans longs développements ennuyeux, Maulin évoque d’autres sujets sérieux. Il cite quelques noms de théoriciens anarchistes, il épingle le monde de l’édition et de la vente des livres, il dénonce les mauvais traitements infligés aux enfants, il conspue le monde de la laideur et de la croissance économique qui est le nôtre.

Les Clodos Flingueurs

La 2ème partie du roman se transforme en faux roman d’espionnage et en une sorte de Gendarme de Saint Tropèze en Mayenne… Les clodos, constamment vus par les autres comme des demeurés, se retrouvent en possession d’un document ultra-secret et ultra-sensible. On dépêche une équipe des Renseignements pour le récupérer. Mais les bouzeux vont leur en faire voir de toutes les couleurs, et on a vraiment l’impression de voir de Funès et Galabru se faire berner par des barjots plus malins qu’eux. On a quelques répliques d’une franchouillardise à mourir de rire. La fin pétarade dans tous les sens.

La couverture choisie par Pocket est amusante, reflète bien la tonalité du roman, mais sans plus… Olivier Maulin n’obtiendra peut-être pas le prix littéraire du Crédit Agricole, mais son Bocage à la Nage vaut le détour.

Liens :

Entretien de Maulin, sur les communautés libres, l’anarchisme et « l’avant-garde du grand bond en arrière »

Une interview écrite très riche et précieuse

Olivier Maulin

Olivier Maulin

Maulin a fait des études d’histoire à la Sorbonne. Il a exercé divers métiers. Il a créé le Cercle Cosaque, cabaret littéraire et œnologique. Une résidence d’auteur en Mayenne lui a, en partie, inspiré ce roman humaniste.

Comme l'un des personnages, mais dans un tout autre sens du mot, on peut ne pas en revenir "qu'une telle humanité puisse exister."

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